Paroles paysannes. Laurent Gbetchi, un leader paysan mobilisé auprès des producteurs du Togo
Laurent Kodjo Gbetchi, producteur de maïs et éleveur de poules pondeuses dans la Région Maritime, au sud du Togo, est également président de l’UROPC-M (Union régionale des organisations de producteurs de céréales de la région maritime). C’est à ce titre qu’il témoignage de l’impact de l’augmentation des prix des engrais sur l’activité des producteurs de son organisation paysanne (OP).
La hausse des prix agricoles fragilise les producteurs
Depuis 2020, la crise sanitaire et l’instabilité géopolitique internationale ont fait bondir les cours des produits agricoles et des intrants. Cette hausse des prix touche producteurs et consommateurs, et menace les revenus des agriculteurs familiaux, déjà fragilisés.
« La hausse des prix agricoles est un fléau qui touche directement nos activités. Face à la hausse des prix des intrants, et surtout les engrais, les OP n’ont pas pu en acheter en quantités suffisantes, car nous ne nous attendions pas à une telle augmentation. On n’a donc pas pu fournir toutes les parcelles en intrants pour cette campagne 2021/2022. » Certains paysans, membres de l’OP, s’inquiètent de cette hausse continue et se demandent comment entamer la campagne agricole 2023. « En 2020/2021, le sac de 50 kg d’engrais s’achetait à 12 500 F, mais pour la campagne 2021/2022 le prix est passé à 18 000 F. Donc nous avons subi une augmentation de 45%, ce qui a été difficile à absorber ». Parmi les agriculteurs qui n’ont pas pu se fournir en engrais, certains ont choisi de se tourner vers d’autres activités génératrices de revenus, le commerce de bétail par exemple. Chaque agriculteur a sa propre stratégie pour s’adapter et faire face.
Afin de limiter la répercussion du prix des intrants sur ceux de l’alimentation, l’UROPC-M a mis en place des négociations directes avec les organisations de consommateurs. Outre l’accord sur les prix, ces négociations ont permis une mise en relation assurant un marché au producteur et un prix raisonnable au consommateur en raccourcissant la chaîne de commercialisation.
Alors que, pour les agriculteurs familiaux togolais, chaque hausse des prix des intrants se traduit par une hausse des prix des produits alimentaires, M. Gbetchi estime qu’« il faut que les consommateurs puissent continuer à acheter des produits pour se nourrir ».
Parallèlement, l’Etat togolais a pris des mesures de soutien aux agriculteurs. D’une part, il subventionne les intrants, et d’autre part il met en place un suivi des achats d’intrants pour éviter la spéculation et le détournement de leur utilisation. Le suivi des achats est assuré par un service d’encadrement au sein des villages et des cantons. « C’est ce qui a permis à certains agriculteurs de s’en sortir lors de la dernière campagne, mais ce n’est pas suffisant ».
En effet, la hausse des prix des intrants vient s’ajouter aux conséquences du changement climatique, qui constitue un autre défi pour les paysans. Au Togo, la saisonnalité des pluies est de plus en plus irrégulière. « En 2022, les premières pluies ont commencé en mars au lieu de février. On a préparé le sol et on a semé mi-avril/début mai. Quand les pluies ont cessé fin juin, les plants étaient à un stade critique de développement. Du fait de l’absence de pluies jusqu’en août, tous ceux qui avaient semé à cette période ont perdu leurs récoltes. »
Les agriculteurs adaptent leurs pratiques pour réduire leur vulnérabilité
Depuis plusieurs années, l’OP a mis en place des actions qui visent à favoriser la résilience des agriculteurs face à ces crises multiformes. Elle introduit par exemple la culture d’oléo protéagineux, qui sont ensuite transformés pas les producteurs (huile alimentaire, tourteau pour l’élevage …). En culture associée, les oléo protéagineux permettent de fixer l’azote de l’air et contribuent ainsi à la restauration et la fertilisation des sols. Ce projet mis en place avec l’accompagnement de la Fondation Avril et Afdi a également permis la réintroduction de cultures locales, comme le pois d’Angole, abandonné par le passé au profit de cultures dites plus rentables. La transformation de ces produits permet également d’assurer aux agriculteurs un complément de revenu. « La production de ces légumineuses qui sont peu gourmandes en fertilisants, réduit la dépendance aux engrais minéraux, ceux qui la pratiquent sont donc moins impactés par les hausses des prix. »
Au sein de l’OP, depuis sa création en 2008, les pratiques agroécologiques sont mises en avant. A travers la cellule technique, certains membres sont formés (rotation des cultures, mise à disposition de parcelles à pâturer après la moisson, utilisation des engrais organiques etc.). Ces « paysans relais » forment par la suite d’autres membres, « il y a des champs de démonstration et des visites de champs écoles. A la fin des visites, on organise des ateliers pour informer du rendement de chaque parcelle et démontrer l’efficacité de ce genre de pratiques. L’échange entre paysans, c’est ce qui marche le mieux ».
Pour Laurent Kodjo Gbetchi, l’enjeu est surtout d’attirer les jeunes dans le monde paysan, « aujourd’hui les jeunes ne s’impliquent pas tellement dans l’agriculture, ils sont démotivés car il y a beaucoup de défis. Mais mettre en place des pratiques innovantes, permettre aux agriculteurs de vivre de leur métier, c’est le plus important, c’est la clé pour assurer la sécurité alimentaire du pays ».